En matière de mobilité, le temps compte (Time Matters)

La mise en service du tram à Liège va s’accompagner d’une refonte de l’ensemble du réseau de bus, de manière à le hiérarchiser et à rabattre une série de lignes existantes sur les arrêts de tram. Cette réorganisation s’appuie sur quatre lignes de Busway qui complètent la ligne de tram afin de mailler le territoire de l’agglomération.

Ces lignes de Busway s’appuient sur les grands principes suivants.

Le Busway est prioritaire par rapport au reste du trafic et les feux de signalisation sont adaptés de manière à donner la priorité au bus. La ligne est développée en site propre partout où cela est possible et/ou nécessaire en raison de la congestion automobile. Lorsque la ligne n’est pas en site propre, le bus s’arrête en voirie et les autres véhicules attendent derrière lui lors de ses arrêts. Ceci évite les manœuvres de réinsertion dans le trafic, ce qui permet d’améliorer la vitesse commerciale de la ligne. L’objectif est d’atteindre une vitesse commerciale de 19 à 20 km/h contre les 10 à 13 km/h actuels pour le centre-ville. La billettique est intégrée aux quais et les montées/descentes voyageurs s’opèrent par simultanément l’ensemble des portes. Le plancher des bus est à niveau par rapport aux quais de manière à renforcer le confort usager et l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite.

Tracé des 4 lignes de busway prévues en complément de la ligne de tram Cornonmeuse-Sclessin (source : tram.be)

Il est prévu, dans le cadre de cette réorganisation, de mettre en place d’une ligne de Busway, la ligne dite « B1 », entre Ans et Chênée selon un itinéraire qui suit peu ou prou ce qui avait été imaginé dès 2012 dans le cadre de l’étude« Transurbaine » (GRE, 2012). Ce tracé a ensuite été affiné et consolidé, d’abord dans le cadre du Schéma de développement de l’Arrondissement de Liège (Liège Métropole, 2017), et ensuite dans le Plan Urbain de Mobilité de l’Agglomération liégeoise (GW, 2019) et l’étude dite « Axes structurants » (Transitec, 2016).

Extrait de l’étude Transurbaine (GRE, 2012) qui met clairement en évidence la proximité entre le tracé de cet axe pensé dès 2012 et celui de l’actuelle ligne B1.

L’élaboration de ces différents documents a fait l’objet d’une concertation étroite entre différents acteurs : communes de l’agglomération, dont bien entendu la Ville de Liège, OTW (ex TEC), Autorité Organisatrice des Transports (AOT), SPW Mobilité et Infrastructures, Université de Liège etc. La mise en œuvre du PUM est elle-même encadrée par un comité d’accompagnement qui rassemble tous ces acteurs. L’OTW a publiquement communiqué les premiers documents relatifs à la ligne B1 lors d’une enquête d’information préalable réalisée en juin 2023. Cette enquête était réalisée dans le cadre de l’étude d’incidences sur l’environnement (EIE) relative aux quatre lignes de Busway.

Le consensus autour de la mise en œuvre rapide de la ligne B1 semble aujourd’hui remis en cause par certains acteurs pourtant associés aux différentes études et réunions de concertation. Deux arguments sont mobilisés à cet égard. Il s’agirait tout d’abord d’instaurer un moratoire sur les travaux dans la ville de Liège, les habitants et commerçants ayant été échaudés, épuisés diront certains, par la construction de la ligne de tram. Un moratoire donnerait par ailleurs du temps pour étudier la réalisation d’une véritable ligne de tram plutôt que de Busway entre Ans et Chênée.

Voici quelques éléments qui nous amènent à considérer que postposer la mise en œuvre de la ligne de Busway Ans Chênée serait très dommageable pour l’ensemble de la ville et de l’agglomération. Selon l’expression anglo-saxonne, « Time Matters », le temps compte, et ce que ce soit en terme de priorités, de délais ou de connexions.

Une ligne prioritaire en terme de flux passagers, effectifs et potentiels

Après la ligne de tram Coronmeuse-Sclessin, c’est la ligne B1 qui capte le plus de flux voyageurs dans l’agglomération. Ceci s’explique par la densité des quartiers traversés ou bordés par la ligne (Longdoz, Vennes, Chênée), ainsi que par la présence d’attracteurs majeurs tout au long de cette ligne : hôpital CHC au nord, pôle universitaire du XX Août, équipements scolaires à Chênée etc. On compte pas moins de quatre gares de chemin de fer au long de la ligne, à Ans, Saint-Lambert, Angleur et Chênée. Toutes ces gares sont susceptibles d’alimenter le trafic passager sur la ligne B1 pour des déplacement intra-urbains.

La SNCB envisage par ailleurs d’ouvrir un nouvel arrêt de train sur la ligne Guillemins-Bressoux, dans les Vennes, dans le cadre de la mise en œuvre du Réseau Express Liégeois. Actuellement prévue avenue du Luxembourg, la connexion entre cet arrêt et la ligne B1 pourrait être renforcé si il était localisé à hauteur du Boulevard Frankignoul.

Alors que la ligne de tram dédouble la ligne de chemin de fer de fond de vallée, la ligne de Busway B1 lui est, elle, transversale, d’où le nom de transurbaine qui lui a été donné. Elle permettra de relier de manière directe le nord et le sud de l’agglomération. La mise en œuvre de telles liaisons transversales constitue une priorité pour l’agglomération liégeoise, au vu du développement des activités économiques au long de l’arc autoroutier nord (entre Bierset et les Hauts-Sarts) et de l’ensemble des développements résidentiels au sud.

La demande de mobilité le long de cet axe est destinée à croitre fortement dans les années qui viennent en raison de la concentration de « foncier mutable » à proximité de celui-ci (Boliden, LPB, Espérance et Bonne-Fortune, gare d’Angleur, …). Le volant de reconversion y est bien plus important que le long de la ligne de tram, et le Busway pourra jouer ici un rôle de catalyseur pour autant que les vitesses commerciales, les fréquences et l’amplitude horaires soient suffisantes. Ce ne sont pas moins de 800 logements qui pourraient être créés sur le seul site de Boliden. 

Il serait incompréhensible, au vu de ces arguments, que la ligne B1 soit postposée indéfiniment alors qu’elle devrait être prioritaire par rapport à la ligne B2 est actuellement en chantier et que la mise en œuvre de la ligne B4 devrait suivre dans la foulée.

Un Projet de territoire qui fait le pari de la Transurbaine

La ville de Liège, dans son Projet de territoire, identifie des secteurs de transformation appelés à connaitre une intensification des usages et une reconversion en profondeur (Liège, 2024). Les cinq secteurs de transformation identifiés par la Ville de Liège sont les suivants : 

1. Bressoux/Droixhe – Coronmeuse, 
2. Sclessin – Val Benoît, 
3. la Transurbaine-nord, allant de Glain au Cadran, 
4. le « boulevard de l’Automobile »,
5. Angleur – Chênée.

Les deux premiers secteurs de transformation sont localisés le long de la ligne de tram de fond de vallée, les trois autres le long de la ligne B1, ce qui est assez logique, tant on sait que des dynamiques de cette envergure reposent sur la mise en œuvre, en parallèle, d’un transport en commun performant et efficace.

Les cinq secteurs de transformation de la ville de Liège identifiés dans le Projet de territoire (Liège, 2024)

Il convient de souligner que ces cinq secteurs concentrent l’essentiel des réserves foncières pour accueillir de nouvelles activités et de nouveaux habitants dans les années à venir. Dans son Projet de territoire, la ville de Liège a décidé de mettre en œuvre le principe de zéro artificialisation nette sans attendre l’échéance de 2050 afin de préserver les espaces de nature (Liège, 2024, p. 42). Ce ne sera pas possible sans une mise en oeuvre rapide de la ligne B1, sauf à considérer que les développements résidentiels seront reportés sur les communes périphériques.

A côté de ces cinq secteurs structurants le projet de territoire identifie 13 pôles à intensifier sur son territoire (Liège, 2024, p. 65). Elle prétend ainsi ré-équilbrer le territoire entre centre et périphérie ainsi qu’entre rive gauche et rive droite. Cinq de ces 13 pôles sont localisés le long de la ligne B1 : Mont Légia, Saint-Lambert, Longdoz, Angleur et Chênée. Ici à nouveau, la mise en œuvre de la ligne B1 s’impose de manière urgente si l’on veut réellement développer ces pôles et éviter qu’ils ne soient congestionnés par l’automobile et des infrastructures de stationnement encore plus massives.

Tous ces éléments nous amènent à considérer que si la ville de Liège croit en son projet de territoire, elle doit soutenir une mise en œuvre prioritaire et rapide de la ligne B1. Il s’agit d’une condition indispensable pour le développement de projets urbains durables, tant dans les secteurs de transformation que dans les pôles à intensifier. On sait qu’entre la réalisation des infrastructures de transport public, la décision d’investir et la livraison de logements et de surfaces de bureau il peut s’écouler une période de 5 à 10 ans. Reporter indéfiniment la mise en œuvre de la B1, c’est se priver de tout effet d’entrainement sur la transformation de la ville.

Du retour de certaines facultés de l’Université en ville

La Ville de Liège défend, on le sait, un retour progressif de certaines facultés universitaires au cœur de la cité, à proximité du pôle Saint-Lambert-XX Août. Cette revendication était déjà bien présente dans la Déclaration de Politique Communale de 2018 (Liège, 2018, p. 69). Elle est rappelée dans le Projet de territoire de 2024 (Liège, 2024, p. 60).

La mise en œuvre de la ligne B1 est essentielle pour tout transfert d’activités d’enseignement depuis le Sart-Tilman vers le centre ville.

Cette ligne doit tout d’abord assurer une accessibilité aisée en transport en commun au centre ville pour tous les étudiants logés sur la rive droite, depuis le Longdoz jusqu’à Embourg en passant par les Vennes et Chênée. Les lignes de bus qui relient Liège à Chênée sont aujourd’hui saturées et pénalisées par la congestion dans le Longdoz. A politique inchangée, le Sart-Tilman restera plus accessible que le centre ville pour certains de ces étudiants, en particulier pour ceux d’entre eux qui sont motorisés ou qui habitent à proximité de la ligne B2 (Guillemins-Sart-Tilman) ou de la ligne 158 (Chênée-Sart-Tilman).

Par ailleurs, la mise en œuvre de la ligne B1 est l’occasion d’aménager le goulot de la rue Grétry et d’y donner la priorité au Busway. Ces aménagements devraient permettre de garantir la vitesse commerciale de la ligne B1, mais également de la ligne B3 destinée à relier le pôle XX Août au Sart-Tilman en passant par le Longdoz et les Vennes. Cette ligne B3 est vitale pour l’Université, puisqu’elle devrait permettre de relier le centre au Sart-Tilman dans un délai raisonnable et sans rupture de charge. 

L’alternative qui consiste à combiner un trajet en tram depuis le centre-ville et de prendre ensuite la ligne B1 depuis les Guillemins, ou le Bus Connect 8 entre Sclessin et le Sart-Tilman sera toujours moins confortable pour les usagers dans la mesure où elle imposera une rupture de charge et des incertitudes liées à une correspondance.

Ici à nouveau, on ne voit guère l’intérêt de temporiser, alors que la mise en service de la ligne B1 est essentielle pour maintenir une liaison efficace vers le centre ville à la suite de mise en œuvre du tram, et ce tant depuis la rive droite que depuis le Sart-Tilman.

Où l’on reparle de l’abandon des extensions du tram…

Bien sûr, il serait encore plus efficace de disposer d’une véritable ligne de tram plutôt que d’un Busway entre Ans et Chênée. La demande de mobilité justifie certainement une telle option. C’est plus encore le cas si l’on prend en considération l’ensemble des développements potentiels le long de cette ligne.

Néanmoins, alors qu’il n’était déjà pas dans les plans des opérateurs de mobilité, ce scénario a encore pris un coup supplémentaire à la suite de l’abandon des extensions du tram.

En terme de justice spatiale, développer une ligne de tram le long de l’axe Ans Chênée avant les extensions de la ligne de vallée serait assez incompréhensible. Cela reviendrait à concentrer les investissements lourds sur le seul de la territoire de la ville de Liège tandis que la division entre une ville hyperconnectée et les communes périphériques se verrait renforcée. Une telle fracture viendrait s’ajouter aux griefs légitimes des communes de Herstal et Seraing suite à l’abandon des extensions.

Par ailleurs, ici aussi, le temps compte. Le scénario d’un moratoire sur le la ligne B1 pour mieux rebondir sur une ligne de tram ne tient plus la route. L’abandon des extensions du tram rend très improbable le fait de lancer des études sur une nouvelle ligne de tram dans les cinq années qui viennent. Ces études ne pourraient commencer, au mieux, qu’en 2030 et ce n’est pas aux liégeois qu’il faut expliquer qu’un délai de 10 ans entre le début des études  et la mise en service d’une ligne de tram est loin d’être excessif. Ceci nous amènerait, au mieux, en 2040 pour la mise en œuvre de cette ligne de tram, soit au moment où la transition vers la mobilité électrique devrait déjà être bien engagée.

La ville peut-elle attendre 2040 avant de mettre en œuvre les transformations attendues le long de la ligne B1 ? Reporter ainsi la transformation de la ville et de la mobilité serait tout à fait incompatible avec les échéances actuelles en matière de politique climatique, tant en terme d’atténuation que d’adaptation.

On devrait avoir rapidement la réponse à la question de savoir si la ville croit réellement en son Projet de territoire…

Références

GRE (2012). La Transurbaine Liège. Les Cahiers du GRE. Disponible sur gre-liege.be.
Transitec (2016). Étude de 14 axes bus structurants. Rapport interne.
GW (2019). Plan urbain de Mobilité de l’agglomération de Liège.
Liège (2018). Déclaration de politique communale du Collège communal 2018-2024. Disponible sur le site liege.be.
Liège (2024). Projet de territoire de Liège. Disponible sur le site liege.be.
Liège Métropole (2017). Schéma de Développement de l’Arrondissement de Liège. Disponible sur le site liege.be.