Notre rapport relatif à la consultation des citoyens affectés par les inondations de juillet 2021 est à présent disponible en ligne. Il suffit de cliquer sur ce lien pour y accéder.
Pour les lecteurs pressés, les principaux résultats sont résumés ci-après.
Nature des évènements perçus par les habitants
Rapidité du phénomène
L’ensemble des intervenants souligne l’extrême rapidité de la montée des eaux. C’est en particulier le cas de ceux qui ont déjà connu d’autres inondations, par rapport auxquelles ils gardent une série de repères qui leur permettent de mesurer l’ampleur de la crue et la vitesse de montée des eaux. La vitesse de montée des eaux est souvent associée au phénomène dit de « vague ». Il convient de souligner que la rapidité de la montée du niveau d’eau s’observe aussi bien dans la vallée de la Vesdre, que le long de la Hoëgne, du Wayai, du Ri d’Asse (affluent de la Berwinne) ou de l’Ourthe. Un certain nombre d’intervenants souligne, par ailleurs, que la décrue a également été très rapide au regard des épisodes d’inondation précédents.
Une montée des eaux en deux phases
Plusieurs répondants décrivent un phénomène qui s’est développé par paliers, avec une phase de crue relativement soutenue, suivie d’une faible décrue et/ou stabilisation, qui est suivie d’une autre crue très rapide. Cette deuxième crue est bien souvent associée à l’ouverture des barrages, alors que les habitants l’ont observée aussi bien dans la vallée de l’Ourthe que de la Vesdre.
Vitesse du courant et bruit associé au cours d’eau
Au-delà de la rapidité de la crue, la vitesse des eaux ainsi que le caractère torrentiel des écoulements ont profondément marqué les habitants. Ce caractère torrentiel est également assimilé au phénomène de vague. La phase de crue rapide a fortement marqué les habitants, qui nous font part du bruit du cours d’eau lui-même ainsi que des chocs liés aux éléments que celui-ci charrie et qui viennent buter sur les bâtiments.
Des murs anti-crue dépassés
Le phénomène de vague est par ailleurs associé au dépassement des dispositifs de protection installés le long de certains tronçons de l’Ourthe. Lorsque ces dispositifs se voient débordés par la crue, il s’ensuit une montée très rapide de l’eau dans les quartiers jusque-là protégés de la montée des eaux. Le phénomène est très brusque et impressionnant.
Connaissance du risque et expérience du phénomène d’inondation
Présence en zone d’aléa et confusions relatives à la zone d’aléa très faible
La plupart des personnes interrogées ne considère pas que le risque d’inondation dans la zone qu’ils habitent soit élevé alors même que leur habitation se situe en zone d’aléa. Les habitants ont tendance à se référer à leur connaissance des inondations passées plutôt qu’aux cartes d’aléa pour évaluer le risque « réel » d’inondation. Il apparaît que c’est toujours le cas après les inondations, ce qui appelle une réflexion quant aux dispositions à adopter pour assurer une meilleure prise en compte de ces cartes. Certains considèrent à tort que le fait d’être en zone verte correspond à une situation « hors zone d’aléa », alors qu’il s’agit en réalité de la zone d’aléa très faible (récurrence centennale). La méconnaissance et la mauvaise compréhension des cartes d’aléa ne manquent pas d’être préoccupantes. Quelques citoyens sont allés consulter les cartes d’aléa après les inondations afin de comparer celles-ci avec les zones impactées par les inondations de juillet dernier et de localiser leur bien en matière d’exposition à l’aléa. Cette démarche reste néanmoins assez exceptionnelle parmi les personnes que nous avons pu interroger.
Expérience directe et indirecte du risque
Les habitants ont tendance à se fier à leur connaissance des inondations passées afin de mesurer leur exposition au risque et à adopter des mesures adéquates pour faire face à la crue durant les inondations. Lorsqu’il s’agit d’une expérience indirecte du risque partagée entre plusieurs générations, la fenêtre temporelle peut remonter beaucoup plus loin, mais les connaissances relatives à la vitesse de montée des eaux et aux niveaux atteints sont alors moins précises.
Anticipation, préparation, alertes
Information active (be-alert, medias, commune) vs. passive (Infocrue)
Lorsque l’on interroge les habitants par rapport aux alertes reçues, ceux-ci nous font part de l’absence d’alerte ou de signal adéquat durant les 48 heures précédant les événements. Certains citoyens ne s’informent que par la radio et les moyens de communication classiques. Or les informations diffusées par la radio ne concernent que les précipitations et pas les alertes d’inondation. Les citoyens ne se considèrent pas en mesure d’interpréter correctement les alertes précipitations. La répartition des compétences entre fédéral et régional en matière d’alerte précipitations et inondations leur apparaît absurde. Le décalage entre annonces de précipitations et risque d’inondation grave paraît d’autant plus fort que le niveau de pluies en bas de vallée est loin d’être catastrophique. La dissonance induite par la combinaison de prévisions météo alarmantes, sans que ceci ne soit suivi d’alertes inondations, alors que le niveau de précipitation reste dans la moyenne en bas de vallée, va amener les citoyens, y compris les plus aguerris, à baisser la garde.
Information officielle (cf. supra) vs officieuse (voisins, réseaux sociaux)
A côté des canaux officiels, une série de citoyens experts informent les riverains de l’imminence d’un risque important. Ces citoyens experts tirent leurs informations des sites SPW, des réseaux sociaux et/ou de contacts personnels. La rumeur d’une ouverture des vannes du barrage d’Eupen se répand dans la vallée au cours de l’après-midi du 14 juillet et ce de manière strictement officieuse . Cette rumeur, qui va s’avérer correcte, va ensuite alimenter la défiance des citoyens envers les autorités publiques qui n’ont pas diffusé l’information via les canaux officiels. La puissance publique a perdu, au cours des premières heures de la crise, le monopole de la diffusion d’informations critiques. Elle ne s’en remettra jamais par la suite.
Les repères comme système d’alerte à part entière
Les repères relatifs aux inondations passées sont constamment mobilisés par les habitants pour adapter leurs comportements par rapport aux événements. Ces repères constituent un système d’alerte bis, qui s’avérera parfois plus fiable que les dispositifs technologiques tels que BE-Alert.
Les gestes de routine ou l’expérience « néfaste »
Dans bien des cas, le temps consacré à mettre en place des mesures de routine ne pourra pas être utilisé pour prendre des dispositions plus adaptées face à ce qui va finalement survenir, comme le fait de remonter les meubles à l’étage, déplacer les véhicules vers un point haut, mettre les animaux de compagnie à l’abri. On peut alors parler d’expérience « néfaste » : les gestes réflexes acquis par les citoyens experts se retournent contre eux.
Point de bascule : on n’est plus dans une inondation « normale »
Certains citoyens font état d’un point de bascule dans leur perception des événements. Ils réalisent alors, selon leurs termes, qu’on n’est plus dans une inondation « normale » et que les gestes de routine mis en place ne suffiront pas pour faire face à ce qui s’annonce. Il est intéressant de souligner que ce point de bascule intervient parfois bien avant que les autorités communales ne prennent conscience du caractère exceptionnel de la crue.
Pendant la crue
Absence totale d’information officielle
Face au vide d’information et de communication, les habitants se retournent vers les services d’urgence pour signaler des situations critiques. Ces services sont rapidement complètement débordés par les appels et lorsque des personnes parviennent à entrer en contact avec un opérateur humain, les informations dont dispose celui-ci par rapport à la situation terrain apparaissent bien souvent erronées ou incomplètes.
Encerclement et comportements « à risque »
L’encerclement des habitations constitue un point critique dans le déroulé de la crise. Il s’agit du moment où il n’est plus raisonnable de sortir de chez soi, par quelque accès qui soit. Outre le problème de la hauteur d’eau, les habitants prennent conscience du danger lié à la vitesse du courant et à l’absence de visibilité des éventuels obstacles (taques d’égouts ouvertes, éléments charriés par le courant etc.). L’absence d’information officielle et la diffusion d’informations erronées via les réseaux sociaux vont conduire certains citoyens à prendre des risques inconsidérés durant cette phase.
Durée de la crise
Cette phase reste liée à un stress très intense pour la plupart des habitants que nous avons rencontrés. Certains s’interrogent sur la stabilité de leur maison, voyant les dégâts se développer autour d’eux. Les habitants restent profondément marqués par cette phase près de deux mois après les événements et leur niveau de stress est bien souvent lié à la durée de la crise.
La plupart des habitants improvisent pendant cette période afin de faire face aux événements. Des gestes de solidarité se développent entre ménages ainsi qu’entre ménages et leurs proches dès la phase de crise. Mais le bien le plus précieux pendant cette période de crise reste, encore et toujours, l’information.
Évacuation, relogement, soutien
Mode d’évacuation : professionnels vs. Volontaires
L’évacuation se développe de manière assez désordonnée. Seules quelques personnes vont être évacuées pendant la phase de crise et, parmi celles-ci, une partie des personnes seront évacuées par des professionnels. Les personnes interrogées font preuve d’un haut degré de compréhension et d’empathie, et ce malgré le niveau de stress auquel ils sont confrontés. Beaucoup considèrent comme normal le fait de ne pas être prioritaires lors de la phase d’évacuation, considérant que d’autres personnes sont plus vulnérables qu’elles.
Visualiser l’ampleur des dégâts : un nouveau choc.
Que ce soit pour ceux qui ont quitté leur domicile ou ceux qui descendent au rez-de-chaussée après la crise, visualiser l’ampleur des dégâts après que l’eau se soit retirée constitue un nouveau choc émotionnel.
Réactivité des bénévoles et des mécanismes de solidarité
L’ensemble des personnes interrogées souligne la qualité et l’importance du soutien apporté par les bénévoles, en particulier au cours de la phase post-crise. Presque tous les habitants ont été aidés, à un moment ou un autre, par des bénévoles, venus parfois d’assez loin. Ici à nouveau, l’information circule essentiellement via les réseaux sociaux. Certaines communes ont organisé une centralisation des informations relatives au soutien aux victimes, ce qui a été apprécié par le public.
Réparations et assurances
« Le plus dur commence »
Après le stress lié à la montée des eaux, à l’attente durant l’encerclement et à l’évacuation et au relogement, vient le stress lié à la reconstruction, aux travaux à réaliser dans la maison et au parcours d’obstacle administratif. Cette phase de stress est vécue de manière très négative par l’ensemble des personnes rencontrées. Certains n’hésitent pas à affirmer que c’est le pire de la crise, que c’est plus traumatisant encore que les nombreuses heures à attendre des secours et nous parlent d’un « burn-out administratif ».
Inégalités des couvertures assurance
L’accès aux informations et au soutien est très variable d’un ménage à l’autre. Ceci dépend d’une série de facteurs, comme la qualité de la couverture assurance, du fait de disposer d’une assistance juridique, d’avoir un courtier ou non, et, lorsque l’on a un courtier d’assurance, de sa proactivité et de son soutien.
Besoin de conseils techniques et juridiques
Face à ces difficultés, une des demandes fréquemment mentionnée est l’accès à des conseils techniques et/ou juridiques durant la phase de reconstruction. De nombreuses personnes sinistrées s’interrogent par rapport aux gestes techniques à poser dans leur habitation. A défaut d’information pertinente par rapport au traitement de l’humidité, ils interviennent a posteriori après observation du développement de moisissure et de champignons sur les murs, alors que ce type d’intervention s’imposait dès le départ.
Conclusions transversales
Un sentiment d’abandon largement partagé par les intervenants
De nombreux citoyens nous ont fait part du sentiment d’abandon qu’ils ont ressenti de la part des pouvoirs publics, et ce, tous niveaux d’autorité confondus. Ce sentiment est certes variable d’une personne à l’autre, d’un point à l’autre du territoire, mais il revient de manière lancinante dans beaucoup d’entretiens.
L’analyse rétrospective du décalage entre mesures de sauvegarde prises avant le point de basculement et ce qu’il aurait été possible de faire, pour soi-même et pour les autres, si l’information relative au risque réel avait été communiquée de manière effective n’est pas étrangère à ce sentiment. Beaucoup de personnes gardent un sentiment assez amer de cette expérience.
Des limites de l’action publique
Face à l’ampleur de la crise, les autorités publiques se sont vues, à un moment, dépassées par le volume des besoins auxquels répondre : standards téléphoniques saturés, difficultés d’accès sur le terrain, défaut de matériel adéquat et en quantité suffisante, manque de structurations structurelles pour le relogement.
Les personnes interrogées sont assez conscientes des limites de l’action publique et comprennent qu’elles ne sont pas toujours prioritaires dans leurs demandes. Certains font le choix délibéré de trouver des solutions par eux-mêmes, considérant que d’autres ont davantage de besoins qu’eux. Beaucoup de personnes affectées par les inondations vont-elles-mêmes s’impliquer dans le volontariat et des actions de solidarité lorsqu’elles le peuvent.
Deux choses sont toutefois dénoncées par les participants à la consultation. Les habitants relèvent, d’abord, les contradictions et le manque de fiabilité des réponses apportées par les autorités. Certains ont longtemps attendu l’aide qui leur avait été promise au moment critique de la crise. C’est moins le fait de ne pas pouvoir venir en appui qui est ici dénoncé, que le temps et l’énergie perdues à attendre un soutien qui ne viendra jamais et qui auraient pu être consacrés à d’autres choses si le message avait été plus clair dès le départ. Ils soulignent, par ailleurs, une forme de concurrence malsaine entre différentes formes de support, entre soutien officiel et officieux, entre moyens fournis par l’armée et par la Croix-Rouge etc. Le déploiement de soutiens officiels va parfois se traduire par une dégradation de l’aide apportée, très mal acceptée par les intervenants.
La commune comme interlocuteur de premier niveau
Bien que les personnes interrogées soient bien conscientes des limites de l’action publique, il ressort des entretiens et des tables-rondes que la commune reste pour eux leur premier interlocuteur en situation de crise. C’est aux autorités communales qu’ils s’adressent dans les heures qui précèdent le pic de crue. C’est également vers ce niveau de pouvoir qu’ils se retournent lorsqu’ils cherchent du soutien dans le cadre de procédures administratives ou vis-à-vis des assurances.
Du rôle des interlocuteurs humains et non-humains
L’agencement de la crise fait ressortir l’importance d’une meilleure coordination entre interlocuteurs humains (secours, courtiers, responsables communaux) et non-humains (alertes, répondeurs téléphoniques, sites internet).
Alors que dans la phase aigüe de crise, le seul support est confié à des opérateurs humains via des centrales de secours qui seront vite débordées, les habitants se voient par la suite confrontés à un véritable mur administratif, constitué de formulaires internet à compléter, d’automates téléphoniques pour obtenir l’ouverture d’un dossier d’assurance, de documents à obtenir en matière de crédits hypothécaires, alors qu’ils ont besoin d’un soutien personnalisé, fonction de leur situation singulière.
Cet usage à contresens des interlocuteurs humains et non humains alimente le ressentiment d’une partie du public, d’autant qu’il s’avère très inégalitaire. Les personnes les mieux soutenues seront celles qui peuvent entrer en contact avec des opérateurs humains qui pourront les guider à travers les méandres de la jungle administrative.
De la « sidération » à la « reconstruction »
La plupart des personnes que nous avons interrogées sont aujourd’hui en phase de reconstruction. Les contacts sont pris avec les assurances. Ils ont entrepris les premiers travaux dans leur maison. Ils ont trouvé une solution provisoire pour leur relogement. Le temps de la reconstruction leur paraît trop long et ils réalisent aujourd’hui qu’il leur faudra des mois pour retrouver ce qu’ils ont perdu, pour autant que ce soit possible. Beaucoup savent que certaines pertes sont définitives, qu’il s’agisse de pertes financières ou affectives, et ces dernières ne sont pas les moins cruelles.
Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de répondants apparaît encore en phase de sidération. Ils ne peuvent comprendre ce qui leur est arrivé. L’aide psychologique apportée ne répond que très partiellement à leurs attentes. Ils voudraient comprendre comment ce désastre a été possible et ce qu’il faut en tirer comme conséquences, à titre individuel et collectif.
© image de garde : SPI, Christophe Breuer